Shell, Trompeloup et une « rencontre d'anciens »
Aujourd'hui, seuls quelques dépôts de carburant rappellent qu'une raffinerie de pétrole était jusqu’en 1988, implantée entre la Gironde et les vignobles près de Pauillac (Trompeloup). Christine Salabert et Anne-Marie Roux-Vidou, deux amies d'enfance, ont pris l'initiative d'organiser des retrouvailles avec d'anciens habitants de la cité Shell construite pour les employés de la raffinerie : dans cette superbe cité ouvrière, vivait une cinquantaine de familles dans de coquettes maisons d'inspiration basque aux volets soit verts, soit rouges. La cité était un lieu conçu pour le bien-être et le bonheur de tous et notamment des enfants.
Fin octobre 2023, Christine Salabert a créé sur Facebook le groupe « Enfants de la cité Shell » afin de pouvoir entrer en contact avec le plus grand nombre d’entre eux, « avec la perspective d'une rencontre au printemps. » Son succès a été immédiat. Et ce qui devait être une « banale » annonce pour une « cousinade », en l'occurrence une « coquillade » (allusion à la coquille Saint-Jacques du logo de Shell), s'est transformé en une histoire d'Alice au pays des merveilles, pleine de souvenirs, de photos et de rencontres numériques.
Après la guerre, la raffinerie a été reprise par la société Caltex et s’est développée entre 1947 et 1952, devenant l'un des plus grands complexes industriels modernes d'Europe. De nombreuses familles ont fait construire - le plus souvent d'après les plans du service d’études de l'usine – leurs maisons individuelles dans les années 1960. En 1969-1970, lors de la construction de la nouvelle raffinerie, la cité ouvrière a été démolie pour des raisons de sécurité, de besoin d’espace etc..
Aux yeux des enfants qui y vivaient, voire qui y sont nés, c'est à la Cité des Huiles Shell que se jouait la vie des enfants. « C'était un eldorado dont rêvaient beaucoup d'enfants moins « privilégiés » de Pauillac, qui vivaient dans des maisons sans confort et parfois sans eau courante, dans la pauvreté, voire une certaine misère », se souvient Anne Marie, « Une allée bordée d'arbres menait de l'entrée de la cité à nos jolies maisons individuelles ou jumelées, disposées en cercle. Les maisons les plus proches de la voie ferrée abritaient les ouvriers, plus haut les contremaîtres et les ingénieurs, puis il y avait trois grandes maisons pour les directeurs. Chaque maison était équipée de tout le confort nécessaire : douches, jardins avec dahlias, glaïeuls et roses ... Nous trouvions tout ce dont nous avions besoin…. Nous étions des privilégiés ».
« Annie Larrieu qui a vécu près de 20 ans dans la cité, se souvient du grand parc de la cité avec ses arbres fruitiers, son grand terrain de football, ses deux courts de tennis, ses deux petites piscines, son toboggan et ses jeux pour enfants, mais aussi de Noël à l'Alhambra de Bordeaux avec la distribution de mandarines, des sorties au Grand Théâtre et de la fête des mères organisée par le comité d'entreprise qui réunissait 300 personnes et plus au stade, avec un spectacle, un buffet géant et un lâcher de ballons. Une fois, elle avait gagné un stylo plume en or parce que son ballon avait été retrouvé en Dordogne » rapporte Monique Nauzin dans le journal du Médoc
La raffinerie a cessé de fonctionner en 1986 et a été démantelée jusqu'à fin 1988. La fermeture de Shell a non seulement entraîné l'effondrement d'un des piliers économiques de la ville, mais aussi la perte d'un partenaire dans les domaines associatif, culturel et sportif. Le traumatisme de ce départ perdure encore aujourd'hui.
Pour nombre d’employés notamment ceux qui travaillaient dans les entreprises de sous-traitance, la fermeture de la Shell a été un coup dur plus que pour les « Shellistes » qui avaient le choix entre partir avec 4 années de salaire ou partir dans une autre raffinerie du groupe Pour un certain nombre, ce malheur a été une chance : ils se sont reconvertis avec succès.
Pour la ville de Pauillac, cela a entraîné une réduction sensible du pouvoir d'achat de la population, avec la fermeture de toute une série de commerces. Alors que pour les anciens employés de Shell, la fin de la raffinerie signifiait le début d'une période de chômage souvent longue, d'autres étaient plus que satisfaits de la réduction des activités industrielles de Pauillac. La plupart des propriétaires de châteaux autour de Pauillac avaient toujours eu du mal à accepter la présence d'installations industrielles à portée de vue de leurs vignobles, dont l'esthétique particulière les rendait souvent insatisfaits. Certains s'offusquaient même des couleurs blanc-rouge des cheminées et demandaient qu'on les peigne en bleu ciel pour qu'elles passent inaperçues.
Pauillac souffre toujours des conséquences de la fermeture de la raffinerie Shell, qui remonte à plusieurs décennies. La municipalité pense avoir trouvé une solution à ce problème dans la promotion du tourisme, qui attire de plus en plus de visiteurs dans la région. Dans ce contexte, le Grand Port Maritime de Bordeaux a prévu de réhabiliter après le départ de Airbus, l’appontement de Trompeloup pour l’accueil des grands paquebots de croisière qui, trop gros ne pourraient pas remonter et accoster à Bordeaux, Cet appontement tout début du siècle dernier a été un avant-port de Bordeaux très actif où les plus grands paquebots avaient leur tête de ligne comme l’Atlantique.
2024 Christian Büttner (Grayan), article rédigé à partir d'informations récoltées auprès de Anne Marie Vidou, Monique Nauzin (Journal du Médoc) et diverses archives
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